LA REFORME DE L'EDUCATION
ET LA
REVOLUTION SOCIALE
SELON
MARIA MONTESSORI :

Beaucoup de
problèmes sociaux
d'aujourd'hui sont dus au manque d'adaptation
de l'individu, tant sur le plan moral que sur les autres.
C'est un
problème de base ; il
met en relief que l'éducation
des tout-petits deviendra,
dans l'avenir, la préoccupation la mieux fondée
et la plus importante de la société.
Nous savons tous
que l'âge du
développement est le plus important de la vie :
une dénutrition
morale ou une
intoxication de l'esprit, à cette
époque,
se
révèle tout aussi fatale pour l'homme
que la dénutrition de son corps
pour sa future santé.
C'est pourquoi
l'éducation de
l'enfant est le problème le plus important de
l'humanité.
Il nous faut
être conscient que
le problème ne se limite pas aux écoles
telles qu'elles sont conçues aujourd'hui
et ne réside pas dans les questions de méthode
d'éducation,
plus ou moins pratiques, plus ou moins philosophiques :
ou l'éducation contribuera à un mouvement de
libération universelle
en indiquant comment défendre et élever
l'humanité,
ou bien, elle s'atrophiera comme il arrive à un organe
devenu inutile
dans le parcours évolutif d'une espèce.
L'idéal, le
but que nous devons
nous proposer doit être commun à tous.
Cet idéal est universel :
c'est la libération de toute l'humanité et la
revalorisation de l'homme.
L'enjeu est
peut-être
même le destin de notre civilisation :
est-elle en train d'évoluer ou de disparaitre
?
La
neutralité de l'enfant :
l'indifférence biologique
avec laquelle il assume ce qu'il trouve autour de lui
pour en faire les caractères de sa propre
personnalité
est une preuve frappante de l'unité du genre humain.
L'objectif
que nous nous sommes
fixés est d'aider le monde des adultes
à connaitre, aimer et mieux servir l'enfant et, par
là,
d'aider toute l'humanité à progresser dans son
développement.
Les
objectifs fondamentaux sont
la prise de conscience de la valeur de la personne humaine
et le développement de l'humanité.
Nous ne
pouvons élever le
niveau de l'humanité seulement par la culture.
Le problème est beaucoup plus complexe et il est
impératif que nous le résolvions
le plus rapidement possible.
Il nous faut construire un environnement social,
un nouveau monde pour l'enfant et l'adolescent,
de telle sorte que leurs consciences individuelles puissent se
développer.
C'est
pourquoi une vaste réforme de l'éducation
et surtout
une vaste réforme sociale s'impose aujourd'hui.
Nous voulons
que l'enfant soit reconnu
socialement parlant,
comme un citoyen, comme ayant la dignité de l'être
humain
et le droit de vivre et d'être protégé.
Quel que soit son contexte social, quelles que soient ses origines
ethniques,
quel que soit son lieu de naissance, l'enfant doit être
reconnu comme un citoyen.
La
révolution
française a proclamé une déclaration
des droits de l'homme.
Parmi ceux-ci figure le droit à l'éducation. Mais
qu'est-il advenu de ce droit ?.
Tout ce qui en est résulté c'est que l'enfant est
accablé de tout le travail nécessaire
pour que l'adulte soit cultivé.
Les souffrances, les désirs de l'enfant ne sont pas pris en
compte,
la seule chose qui compte c'est d'assurer à l'adulte le
plaisir de jouir d'un droit
qu'il n'a réclamé que pour lui-même.
Je pense
d'ailleurs que les enfants
devraient avoir des représentants
dans les assemblées législatives de leur pays.
Ces assemblées où les lois sont
débattues et
où les intérêts matériels et
moraux
des hommes sont pris en compte, devraient avoir des
représentants défendant
les intérêts de
cette immense fraction de l'humanité que constituent les
enfants.
Il devrait également y avoir un
ministère de l'enfance actif,
comme il y en a un pour chaque grand secteur
d'intérêt général.
Et il devrait y avoir un ministère chargé de la
protection de l'humanité,
c'est à dire un ministre des enfants.

Nous
devrions nous préoccuper de l'enfant dés
l'instant ou il nait
et
même dés le jour où il est
conçu.
J'aimerais
lancer un grand mouvement social pour l'enfant en posant un acte
concret :
la
fondation du parti de l'enfant.
Nous appelons tout le monde à participer à ce
travail
en faveur de la défense de la civilisation et du genre
humain.
Le premier but de ce parti social de l'enfant sera de faire reconnaitre
la dignité des enfants et des jeunes et de leur assurer
la place dans la
société qu'ils
devraient légitimement avoir en cette ère des
lumières.
Pour atteindre ce but nous souhaitons
faire appel non seulement aux éducateurs,
mais encore
au grand public et surtout à tous ceux
qui sont
conscients de leurs devoirs de parents,
car c'est
aux parents de défendre les droits de leurs
enfants.
Les hommes de toutes les races et de tous les pays de la terre ont des
enfants,
et l'enfant peut devenir une finalité et un centre
d'intérêt universel.
Le but du parti social de l'enfant sera donc non seulement
de protéger la société de nombreux
maux actuels,
mais encore de créer une sphère d'action
qui permettra à toute l'humanité de travailler
ensemble.
Nous mèmes,
nous
prêchons une révolution quand nous parlons
d'éducation ;
tous les points doivent être transformés.
Je considère que cette révolution devrait
être le dernière ; une révolution
non-violente.
C'est
en cela que consiste l'éducation comprise comme une aide
à la vie :
une
éducation qui prend place depuis la naissance,
qui
alimente une révolution privée de violence,
et qui
oriente chacun vers un but commun.
Mères, pères, hommes d'état, tous
doivent s'unir
pour respecter et aider cette construction délicate,
élaborée dans des conditions psychiquement
mystérieuses,
sous la direction d'un maitre intérieur.
Le
premier pas pour résoudre intégralement le
problème de
l'éducation
ne doit pas être fait vers l'enfant, mais vers
l'adulte éducateur :
il faut apporter de la clarté à sa
conscience et le libérer d'un grand nombre de
préjugés, pour finir
il faut changer ses attitudes morales.
Ce premier pas est suivi du
deuxième :
préparer à l'intention de l'enfant un
environnement
sans obstacle,
adapté à sa vie.
L'environnement
adapté aux besoins les plus évidents et
élémentaires
de sa vie
spirituelle, révèla des attitudes qui jusque
là étaient restées
secrètes,
cachées chez l'enfant, car, dans le conflit avec
l'adulte,
seuls les caractères de défense et de
répressions
avaient été développés.
Il existe donc deux personnalités
psychiques chez l'enfant, l'une, naturelle et créative,
l'autre qui
reflète l'adaptation forcée, qui est
inférieure.
L'éducation
d'aujourd'hui est
humiliante et n'amène qu'à un complexe
d'infériorité
et à la réduction artificielle de la nature
humaine.
Par son organisation, elle pose au savoir des limites
sur un niveau inférieur au niveau humain.
Nous devons nous efforcer de retrouver le
véritable niveau humain
en permettant à l'enfant de se servir au maximum de son
pouvoir constructeur.
Si l'on permettait au caractère de se développer
selon la nature,
non par des exhortations, mais avec la possibilité
d'activités constructives,
le monde réclamerait un autre type d'éducation.
Dans
l'éducation habituelle du
caractère,
les principales préoccupations concernent la
volonté et l'obéissance,
qui constituent en général deux concepts en
antagonisme dans l'esprit des hommes.
Un des buts principaux de l'éducation est,
jusqu'à
présent, de plier la volonté de l'enfant pour y
substituer
celle de l'adulte, sous prétexte d'obéissance.
Les études biologiques nous indiquent que la
volonté de l'homme
fait partie d'un pouvoir universel et que cette force universelle n'est
pas physique
mais que c'est la force
de la vie en cours d'évolution.
L'évolution est guidée par des lois fixes et non
par le hasard :
ces lois de vie nous disent que la volonté est une
expression de cette force
et qu'elle modèle son comportement.
Dans l'enfance, cette force devient partiellement consciente
dés que l'enfant accomplit un acte volontaire et,
ensuite,
cette
force se développe en lui mais seulement grâce
à
l'expérience.

Une
volonté qui fait vouloir à l'individu ce qu'il
fait,
le
mène sur la voie du développement
conscient.
Nos enfants en choisissant spontanément leur travail et en
répétant l'exercice choisi,
développent la
conscience de leurs actes et c'est là un réveil
de
l'esprit,
il doit être clair que la volonté consciente est
une force
qui se développe par l'exercice et le travail.
Notre but est de cultiver la volonté et non de la briser.
C'est ici que
l'éducation
peut développer son action.
Nous tenons les
écoliers comprimés dans des
écoles
au milieu d'instruments qui dégradent le corps et l'esprit :
le banc, la récompense et la punition extérieure,
afin de les réduire à la discipline de
l'immobilité et du silence,
pour les conduire où ? pour les conduire sans but.
Il s'agit de
verser machinalement le contenu des programmes dans leur
esprit :
programmes compilés dans les ministères
et
imposés par des lois,
tout ce que nous souhaitons pour eux,
c'est qu'ils s'adaptent à la prison sans que cela les
ennuient.
Pour
construire une pédagogie
scientifique,
il faut suivre une vue différente de celle qu'on a cru
devoir suivre jusqu'ici.
Un point
fondamental de la pédagogie scientifique doit être
l'existence d'une école
qui
permette le développement des manifestations
spontanées
et de la
personnalité de l'enfant.
Si une
pédagogie doit surgir de l'étude individuelle de
l'écolier
ce sera
grâce à l'observation d'enfants libres,
c'est
à dire d'enfants étudiés et
surveillés, mais non comprimés.
C'est une
conquète de
liberté qu'il faut,
ce n'est donc pas la peine de préparer le "maître
savant" : il faut préparer l'école.
Il faut que l'école permette le
libre
développement de l'activité de l'enfant
pour que naisse la pédagogie scientifique ; c'est
là la réforme nécessaire.
La conception de liberté qui doit inspirer la
pédagogie doit être universelle :
c'est la libération de la vie réprimée
par les obstacles innombrables
qui s'opposent à son développement harmonieux,
tant organique que spirituel.
Or, celui qui prétendrait que le principe de
liberté guide aujourd'hui la pédagogie
et l'école ferait sourire, aussi bien qu'un enfant
qui,
devant une boîte de papillons enfilés, insisterait
pour qu'ils vivent et s'envolent.
Un principe de répression qui va jusqu'a
l'esclavage
mène une grande partie de la pédagogie, donc
l'école.
L'histoire
du progrés civique
est une histoire à la fois de conquêtes et de
libération ;
et nous traitons de régressions ce qui ne correspond pas
à ces signes.
Il faut maintenant se demander si l'école doit
être fixée dans un état permanent
que la société considèrerait comme
régressive.
La dégradation morale de l'esclave, c'est celle qui
pèse sur notre progrès.
Quand
l'héroïsme a
disparu d'une armée,
les récompenses et les châtiments ne peuvent que
faire accomplir
l'oeuvre de destruction en y introduisant la corruption.
Toutes les victoires et tout le progrés humain reposent sur
la force intérieure.
Si nous
comparons l'enfant à
une horloge ou à un mécanisme quelconque,
nous pouvons dire que l'ancienne méthode consiste
à
prendre les dents d'un rouage immobile avec l'ongle pour le faire
tourner ;
le "tour" correspond exactement à la force motrice
appliquée par l'ongle ;
la culture reste limitée à la pression du maitre
sur l'enfant ;
la méthode nouvelle est au contraire semblable à
l'élan qui pousse tout le mécanisme
en un mouvement spontané qui se trouve être en
rapport direct avec la machine,
et non avec l'oeuvre de celui qui a donné l'élan.
Le mouvement ou l'activité psychique spontané
part, dans notre cas
de l'éducation
des sens ; il est maintenu par
l'intelligence observatrice.
L'éducation
est, aujourd'hui
encore, confinée dans un ordre social
dépassé.
Non seulement elle contrevient aux lois de la science,
mais encore elle va à l'encontre des besoins sociaux de
notre époque.
On doit tout d'abord la voir dans la perspective du
développement des valeurs,
en particulier morales, en chaque personne.
On doit, ensuite, y voir la possibilité
d'organiser les
personnes animées par ces valeurs en
une société
consciente de son destin.
Bien sûr,
l'homme social ne
peut-être créé d'un seul coup
à partir de rien.
Les hommes d'aujourd'hui sont devenus adultes aprés avoir
été,
dans leur enfance et leur adolescence, réprimés,
isolés
et incités à poursuivre uniquement des
intérêts personnels.
Ils ont été mis sous la férule
d'adultes aveugles.
Ceux-ci, trop inclinés à négliger les
valeurs de la vie,
n'ont fixé aux enfants qui leur étaient
confiés d'autre but que celui,
égoîste et mesquin, de réussir
à obtenir un bon emploi dans la
société.
L'éducation
d'aujourd'hui
dessèche l'individu et atrophie ses valeurs morales.
Une éducation qui réprime et rejette les
suggestions de la conscience morale,
qui fait obstacle au développement de l'intelligence,
qui condamne des pans entiers de la population à
l'ignorance, est un crime.
Nous devons rechercher, cultiver et mettre en oeuvre les dynamismes de
l'homme,
son intelligence, son esprit créatif, sa puissance morale
pour que rien n'en soit perdu.
L'enfant qui
n'a jamais appris
à travailler par lui-même,
à se fixer des buts pour sa propre action ou à
être maître de lui et de sa
volonté
est reconnaissable dans l'adulte qui laisse à d'autres le
soin de le guider
et ressent constamment le besoin d'être approuvé
par les autres.
L'enfant d'âge scolaire qui est continuellement
découragé et
réprimé
en vient à manquer de confiance en lui.
Il souffre d'un sentiment de panique qui porte le nom de
timidité,
de manque de confiance en soi qui, chez l'adulte, prend la forme de la
frustration,
de la soumission et de l'incapacité à
résister
à ce qui est moralement mauvais.
L'obéissance contrainte
de l'enfant à l'école et à la maison,
une obéissance qui ne prend pas en compte les
droits de la
raison et de la justice, prépare un adulte qui se
résignera à n'importe quoi et à tout.
L'humanité
est tombé
dans un tel état de barbarie et de désordre
spirituel
que l'individu n'est plus qu'un miniscule grain de sable dans un
désert aride.
La loi de la force brute a triomphé dans le
passé.
Aujourd'hui, les lois de la vie doivent, à leur tour,
triompher.
Cette aspiration trés complexe ne peut-être
mieux
résumée que par le mot éducation.
L'humanité
a fait de grands
progrés sur le plan matériel,
mais n'en a fait aucun sur le plan spirituel.
L'homme est totalement ignorant de tout un aspect des
problèmes
auxquels il est confronté.
Sa personnalité est resté exactement la
même que dans les siècles passés,
alors que les nombreux changements survenus dans le contexte social
l'obligent à vivre aujourd'hui dans un environnement
artificiel.
De ce fait, les hommes se sentent faibles et impuissants face aux
suggestions
venant des autres et de leur environnement
matériel.
Ils n'ont aucune confiance dans leurs propres jugements
et leur personnalité est divisée.
Nos
contemporains vont leur chemin,
mais ils sont secs et isolés les uns des autres.
De tels hommes désséchés et
solitaires, ne peuvent,
même lorsqu'ils s'assemblent, réussir à
former une véritable société,
assurément pas, en tout cas, une
société féconde
au sein de laquelle l'homme puisse s'éléver et
progresser moralement.
De tels hommes sont comme des grains de sable du désert.
Même lorsqu'ils s'assemblent, ils restent
solitaires.
Le vrai danger qui menace l'humanité est la
vacuité de l'âme humaine.
Dans
la vie sociale,
nous ne trouvons que trop d'exemples de cette paresse
intellectuelle
chez des personnes qui ont pour seule préoccupation
de bien s'habiller,
de faire des commérages et d'aller au
cinéma.
L'intelligence de ces personnes est
irrémédiablement confinée
derrière des barreaux impossibles à ouvrir ;
leurs intérêts sont
centrés sur leur petit ego,
indifférentes qu'elles sont aux
merveilles du monde,
insouciantes des souffrances de l'humanité.
C'est vraiment comme mourir tout en restant en vie.
Il
est impressionnant de voir que cette humanité
là,
soumise à un
esclavage sans nom, proclame,
comme une rengaine stétéotypée,
qu'elle est libre, indépendante.
La
situation sociale engendrée par notre civilisation fait
à
l'évidence obstacle
au développement normal de l'homme.
On n'a pas
encore élaboré pour l'esprit
un système de défense analogue à ce
qu'est l'hygiène pour le corps.
Il est grand
temps maintenant de corriger
ses erreurs,
de susciter une grande réforme, d'offrir aux jeunes
les moyens nécessaires à leur
développement et
à l'affirmation de leur personnalité.
Cette tâche
ne peut reposer seulement sur des initiatives privées
;
c'est la société comme telle qui est
appelée à l'accomplir.
Les
parents et les maîtres d'aujourd'hui oublient de dire les mots
qui furent naguère la pierre de touche de
l'éducation :
"Tous les hommes sont frêres."
Pour
un mouvement universel de réforme, on ne peut donc concevoir
qu'un
seul but : aider l'homme à
préserver son équilibre, sa normalité
psychique
et lui permettre de trouver ses repères dans le monde
extérieur
tel qu'il se présente aujourd'hui.
Ce mouvement ne doit
pas se limiter à un pays ou à un parti politique,
parce que
l'objectif de nos préoccupations est tout simplement l'homme,
au-delà de toute distinction nationale ou politique.
Maria
Montessori (1870-1952)
Pour en
savoir plus, lire :
-
L'enfant dans la famille
-
L'esprit
absorbant de l'enfant
-
La formation de l'homme
-
L'éducation et la paix
-
Pédagogie scientifique, tomes 1, 2, 3
de
Maria Montessori aux éditions Desclée de Brouwer.
( calendrier de
formation
à la "méthode montessori" )
( le programme de formation à la
pédagogie montessori )
( stage de fabrication de matériel montessori )
( livres de Maria
Montessori )
(
préparation, rôle et mission de
l'éducateur selon Maria Montessori )
(
L'embryon
spirituel, l'esprit absorbant, les périodes sensibles )
( les
étapes du développement naturel et les périodes de la croissance )
(enfants et adultes
aux besoins spécifiques: autisme, alzheimer, schizophrénie,...)
( l'éducation
cosmique montessori )
(
l'éducation religieuse montessori )
(
Maria Montessori, pédagogue révolutionnaire par Mario Montessori )